La transmission de patrimoine dans un cadre franco-allemand

Transmettre son patrimoine dans un contexte transfrontalier présente toute une série de particularités. Cet article aura pour objet l’exposition des règles à connaître pour bien préparer sa succession dans un contexte franco-allemand, tant sur le plan du droit civil que sur le plan fiscal. Seront ainsi évoquées les questions de la loi applicable à la dévolution successorale, à la rédaction des testaments et donations, ainsi que les règles de fiscalité des deux pays, y compris la convention fiscale franco-allemande en matière de donations et successions.

Les successions internationales soulèvent de nombreuses questions particulières car elles conduisent souvent à l’application des règles étrangères ou à l’application cumulative de règles de plusieurs pays différents.

Surtout lorsque le patrimoine du défunt ou du donateur est situé dans plusieurs pays ou lorsque le défunt et les héritiers ou légataires résident dans des pays différents, il est nécessaire de saisir dans chaque pays les organes compétents pour opérer le règlement de succession. Des interférences et conflits de compétences sont assez courants dans les successions transfrontalières. Cette concurrence des lois ne concerne pas seulement la dévolution mais également la fiscalité et comporte le risque d’une double imposition.

Pour mieux comprendre ce conflit de règles applicables nous exposons dans une première partie une comparaison des règles allemandes et françaises relatives aux successions et donations. Dans une deuxième partie nous exposons les règles destinées à résoudre ce conflit.

 I – NECESSITE DE DETERMINER LA LOI APPLICABLE : Droit comparé franco-allemand

Il est important de déterminer la loi applicable à une succession ou donation franco-allemande, car les législations nationales diffèrent considérablement, tant sur le plan du droit civil que sur le plan fiscal ainsi qu’il est démontré dans les tableaux ci-dessous.

A – DROIT COMPARE SUR LE PLAN CIVIL (DONATIONS ET SUCCESSIONS)

Des solutions très diverses sont prévues dans les lois nationales allemand et français en ce qui concerne l’acceptation ou la renonciation de la succession, la dévolution légale, la liberté de disposer par testament ou donation et le règlement des successions.

Domaine concerné DROIT ALLEMAND    DROIT FRANÇAIS 
Acceptation/ renonciation En droit allemand, l’héritier est présumé d’accepter la succession. S’il souhaite renoncer à la succession, il doit faire cette déclaration dans un délai de rigueur de 6 semaines à compter de la prise de connaissance de l’ouverture de la succession. A défaut l’héritier est réputé acceptant. En droit français, l’héritier ou le légataire dispose d’un délai 10 ans à compter de l’ouverture de la succession pour déclarer l’acceptation. A défaut l’héritier est réputé renonçant.
Dévolution légale et impact des régimes matrimoniaux

 

Les règles allemandes et françaises déterminant la vocation à hériter en fonction du le lien de parenté sont très diverses et il est impossible d’exposer l’intégralité de ces différences dans le cadre du présent article. A titre d’exemple nous présentons la succession d’un défunt qui laisse son conjoint et 3 enfants.
Le plus souvent, la dévolution successorale se fait sans liquidation au préalable du régime matrimonial légal allemand de la participation aux acquêts (Zugewinngemeinschaft). Le conjoint survivant reçoit forfaitairement un quart de plus dans la succession au titre de la liquidation du régime matrimonial :

  • part du conjoint dans la succession : ¼ en pleine propriété, majoré d’¼ en cas de régime matrimonial légal « Zugewinngemeinschaft » (=particiaption aux acquêts de droit allemand)
  • part des enfants dans la succession : ¾ en pleine propriété, ramené à ½ en cas de régime matrimonial légal «Zugewinngemeinschaft »
Avant de procéder à la détermination de parts de chacun, il est opéré la liquidation du régime matrimonial : En absence de contrat de mariage, les époux sont soumis au régime matrimonial légal français de la communauté réduite aux acquêts. Avant de former la masse successorale, il convient tout d’abord de déterminer les biens communs. Seulement la moitié des biens communs se trouve dans la masse successorale qui est repartie de la manière suivante :

* Au choix du conjoint survivant :

  • conjoint ¼ en pleine propriété ou totalité en usufruit
  • enfants ¾ en pleine propriété ou ¾ en nue-propriété
Liberté de disposer par donation ou testament La loi allemande prévoit une grande liberté de disposer. Cette liberté n’est partiellement corrigée que par simple « créance réservataire » (« Pflichtteilsanspruch »). Le réservataire a droit à une somme d’argent de la moitié de la valeur des biens que le réservataire aurait reçu dans la dévolution légale. Sont réservataires : le conjoint, les descendants, les ascendants. Pour réaliser la réserve, le réservataire doit prendre l’initiative et formuler une réclamation. Ce droit prescrit dans un délai de 3 ans. En droit français, la liberté de disposer à titre gratuit est déterminée par la « quotité disponible ». Celle-ci est restreinte par la « réserve héréditaire », c’est à dire des parts des biens et droits successoraux réservés à certaines personnes. Dans la pratique, les réservataires se trouvent souvent en indivision avec les légataires. Seulement les descendants sont considérés en droit français. Dans la pratique, la réserve est considérée d’office par le notaire charge du règlement de la succession.
Testaments conjonctifs et pactes successoraux En droit allemand, les testaments conjonctifs et pactes successoraux sont autorisés. Le testament « berlinois », une forme particulière du testament conjonctif, est très répandu en Allemagne. En droit français, les testaments conjonctifs et les pactes successoraux sont en principe prohibés lorsqu’ils sont incompatibles avec le principe de libre révocabilité des dispositions à cause de mort.
Règlement de succession En Allemagne, les compétences sont partagées dans le cadre du règlement des successions :

  • Le tribunal des successions (« Nachlassgericht ») est compétent pour dresser le certificat d’héritier (« Erbschein »)
  • Le Service du livre foncier (« Grundbuchamt ») est compétent pour la transcription des successions immobilières
  • L’avocat ou le conseiller fiscal (« Steuerberater ») est compétent pour l’établissement de la déclaration de succession
  • L’avocat est compétent pour accompagner un ou plusieurs héritiers dans le cadre du partage amiable. Lorsque le partage implique la disposition sur un bien immobilier, le notaire doit recevoir un acte authentique.
En France, c’est le notaire qui a une compétence exclusive dans le cadre du règlement de la succession. Il lui incombe d’effectuer les diligences suivantes :

  • établissement de l’acte de notoriété
  • établissement de l’attestation de propriété lorsque le défunt a laissé des biens immobilières
  • établissement de la déclaration de succession (droits de mutation)
  • opérations de liquidation et partage à l’amiable

B – DROIT COMPARE SUR LE PLAN FISCAL (DONATIONS ET SUCCESSIONS – DROITS DE MUTATION A TITRE GRATUIT)

Sauf dans le cadre des successions entre époux qui sont totalement exonérées de l’imposition en France, la fiscalité allemande des droits de mutation à titre gratuite allemande est beaucoup plus avantageuse que celle de la France, non seulement au niveau des abattements mais aussi en ce qui concerne les taux. La situation se détaille de la manière suivante :

ALLEMAGNE  FRANCE 
ABATTEMENTS (Freibeträge)

En fonction du lien de parenté

Tous les 10 ans Tous les 15 ans
Conjoint marié ou pacsé 500 000 €   80 724 € (exonération totale pour les successions)
Enfant 400 000 € 100 000 €
Petit-enfant 200 000 € (400 000 € s’il vient en représentation d’enfant prédécédé)   31 865 € (1 594 € pour les successions)
Arrière-petit-enfant 100 000 €     5 310 € (1 594 € pour les successions)
Père ou mère 100 000 € 100 000 €
Frère ou sœur   20 000 €   15 932 €
Neveu ou nièce   20 000 €     7 967 €
Parents par alliance   20 000 € (400 000 € s’il est l’enfant du conjoint survivant)            0 € (1 594 € pour les successions)
Incapable de travailler            0 € 159 325 € (cumulable avec l’abattement personnel)
Taux applicables ALLEMAGNE  Taux applicables FRANCE 
Tarifs en ligne directe et entre époux               (« Steuerklasse I ») Tarifs en ligne directe
→ Total part nette taxable (!) Tarif applicable (%) → Fraction de part nette taxable Tarif applicable (%)
N’excédant pas         75 000 € 7 N’excédant pas 8 072 € 5
N’excédant pas       300 000 € 11 Comprise entre 8 072 € et 12 109 € 10
N’excédant pas       600 000 € 15 Comprise entre 12 109 € et 15 932 € 15
N’excédant pas    6 000 000 € 19 Comprise entre 15 932 € et 552 324 € 20
N’excédant pas  13 000 000 € 23 Comprise entre 552 324 € et 902 838 € 30
N’excédant pas  26 000 000 € 27 Comprise entre 902 838 € et 1 805 677 € 40
Au-delà de         26 000 000 € 30 Au-delà de 1 805 677 € 45
Tarifs en ligne collatérale jusqu’au 2e degré    (« Steuerklasse II ») Tarifs en ligne collatérale et entre non-parents
→ Total part nette taxable (!) Tarif applicable (%) Tarif applicable (%)
N’excédant pas         75 000 € 15 Entre frères et sœurs vivants ou représentés

→ Fraction de part nette taxable

N’excédant pas       300 000 € 20 – n’excédant pas 24 430 € 35
N’excédant pas       600 000 € 25 – supérieure à 24 430 € 45
N’excédant pas    6 000 000 € 30 Entre parents jusqu’au 4e degré 55
N’excédant pas  13 000 000 € 35 Entre parents au-delà du 4e degré 60
N’excédant pas  26 000 000 € 40 Entre personnes non-parentes 60
Au-delà de         26 000 000 € 43
Tarifs en ligne collatérale au-delà du 2e degré et personnes non-parentes («Steuerklasse III») Tarifs donations entre époux et pacsés (successions exonérées) v. art. 777 CGI
→ Total part nette taxable (!) Tarif applicable (%)
N’excédant pas   6 000 000 € 30
Au-delà de          6 000 000 € 50

II – DETERMINATION DE LA LOI APPLICABLE AUX SUCCESSIONS FRANCO-ALLEMANDES

Pour résoudre ce conflit de lois, les états ont élaborés certaines règles dites règles de conflit du droit international privé.

La règle de conflit est une règle qui ne permet pas de résoudre la question de fond posée, mais uniquement de déterminer la loi compétente pour résoudre cette question de droit substantiel. Malgré son nom, les règles de conflit du droit international privé ne sont pas uniformes, c’est à dire chaque pays a ses propres règles de conflit. Parfois cependant les règles de conflit sont harmonisées au niveau international de par des conventions internationales.

Il convient également de noter que les règles de conflit du droit international privé ne concernent pas la fiscalité. Les conflits d’impositions sont résolus par des conventions fiscales bilatérales dites « conventions pour éviter la double imposition » (cf. ci-dessous au n° III).

En ce qui concerne les règles de conflits du droit international privé en matière successorale il convient de distinguer la situation avant le 17 août 2015 et celle d’après.

A – Situation avant le 17/08/2015 : MORCELLEMENT des successions internationales

Avant le 17 août 2015, l’Allemagne et la France avaient des règles de conflit distinctes :

Selon l’ancienne règle allemande, les successions étaient régies dans l’ensemble par la loi nationale du défunt, tandis que l’ancienne règle de conflit française opérait un morcellement des successions : la succession immobilière était régie par la situation du bien immobilier et la succession mobilière était régie par la loi du dernier domicile du défunt.

Du fait de la disparité de ces règles, les juridictions et organes étatiques compétents pour le règlement des successions pourraient arriver à des résultats et décisions parfois contradictoires. La situation était souvent très insatisfaisante.

B – Situation depuis le 17/08/2015 : HARMONISATION des règles de conflit par le règlement (UE) n° 650/2012 du 04/07/2012 

Les états membres de l’Union européenne ont enfin harmonisé leurs règles de conflit en matière de successions par le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012. Ce règlement est entré en vigueur le 17 août 2015 et est applicable à toutes les successions ouvertes à partir de cette date. Outre l’harmonisation des règles de conflit, le règlement contient des dispositions relatives à la compétence juridictionnelle et à la création d’un certificat successoral européen (CSE).

1. REGLES DE CONFLIT harmonisées

En premier lieu, le législateur européen a harmonisé les règles de conflit en matière successorale.

a) Principe : Selon l’article 21 § 1 du règlement la succession est régie, en principe, par la loi de la dernière résidence habituelle du défunt.

Pour l’ensemble des biens et pour l’ensemble des opérations successorales, cette loi régit notamment :

  • la vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts respectives ;
  • l’acceptation ou la renonciation ;
  • la quotité disponible, les réserves héréditaires et les autres restrictions à la liberté de disposer ;
  • le rapport et la réduction des libéralités ;
  • le partage successoral.

b) Exceptions : Le règlement prévoit des situations spéciales dans lesquelles il convient de déroger à la règle générale.  

(1) L’article 21 § 2 prescrit l’application de la loi de l’Etat avec lequel le défunt présentait des liens manifestement plus étroits ;

(2) L’article 22 § 1 prescrit l’application de la loi choisie par le défunt à condition qu’il s’agisse de la loi nationale du défunt (art.22§1), sachant que le choix doit résulter des termes d’une disposition à cause de mort (testament, testament conjonctif ou pacte successoral)

(3) L’article 27 prévoit enfin une règle de conflit spéciale relative à la validité quant à la forme des dispositions à cause de mort établies par écrit :

La validité en la forme est admise, si elle est conforme

– à la loi de l’Etat dans lequel l’acte a été rédigé,

– à la loi d’un Etat dont le testateur possédait la nationalité,

– à la loi d’un Etat dans lequel le testateur avait son domicile ou sa résidence habituelle ou

– pour les biens immobiliers, à la loi de l’Etat dans lequel ils sont situés.

2. JURIDICTIONS harmonisées

Le règlement communautaire a également harmonisé les règles de compétence en cas de contentieux successoral. Desormais, sont compétents les juridictions de l’Etat membre de la dernière résidence habituelle du défunt  (art.4) 

ou les tribunaux de l’Etat dont la loi a été, le cas échéant, choisie par le défunt (art. 5).

3. PREUVES harmonisées

Le règlement (UE) 650/2012 a également apporté une harmonisation au niveau de la preuve de la qualité d’héritier ou légataire et de leurs droits et devoirs par la création du « Certificat successoral européen (CSE) ». Ce certificat est reconnu dans tous les états membres et peut remplacer notamment « l’acte de notoriété » du droit français et le « Erbschein » (certificat d’héritier) du droit allemand.

ATTENTION Le règlement UE ne contient pas de règles relatives à la fiscalité de la succession (cf. ci-après III)

III – FISCALITE DES SUCCESSIONS FRANCO-ALLEMANDES

A – Problème de départ : Impositions nationales concurrentes et risque de double imposition

Règles fiscales nationales ALLEMAGNE  Règles fiscales nationales FRANCE 
1. Obligation fiscale illimitée (§1 al.2 ErbStG)

les droits sont dus en Allemagne sur l’ensemble de la succession ou donation si :

le défunt ou donateur était résident en Allemagne au moment de la mutation ou dans les 5 ans avant la mutation

ou

l’héritier, le légataire ou le donataire est résident en Allemagne au moment de la mutation

2. Obligation fiscale limitée (§2 al. 1 n°3 ErbStG)

les droits sont dus en Allemagne pour autant que 

des « éléments du patrimoine » du défunt ou donateur, objet de la succession ou de la donation, sont situés en Allemagne (« Inlandsvermögen » selon § 121 BewG)

1. Obligation fiscale illimitée (art.750 ter 1° et n°3 CGI)

les droits sont dus en France sur l’ensemble de la succession ou donation si :

le défunt était résident en France au moment du décès ou de la donation (art. 750 ter n° 1 CGI)

ou

l’héritier, le légataire ou le donataire est résident en France au jour de la mutation et pendant au moins 6 années au cours des 10 années précédant l’année de la mutation (art. 750 ter n° 3 CGI)

2. Obligation fiscale limitée (art. 750 ter 2° CGI)

les droits sont dus en France pour autant que

 des « biens meubles et immeubles » du défunt ou donateur, objet de la succession ou de la donation, sont situés en France

B – Solution : convention fiscale franco-allemande du 12/10/2006, entrée en vigueur le 03/04/2009 en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur les successions et sur les donations

La double imposition est évitée ou atténuée par deux mesures :

1. Attribution de droits d’imposition exclusifs 

Principe :    Droit d’imposition exclusif de l’Etat du domicile du défunt ou donateur (art. 9)
Exception : Droit d’imposition concurrent de l’Etat de la situation de certains biens :

  • Biens immobiliers (art. 5)
  • Bien mobiliers appartenant à un établissement stable (art. 6)
  • Bateaux, aéronefs et navires (art. 7)
  • Biens mobiliers corporels (art. 8) : N°4 du protocole « le numéraire, les créances de toute nature, les actions et parts de sociétés ne sont pas considérés comme des biens mobiliers corporels »

Exception : Droit d’imposition concurrent de l’Etat du domicile de l’héritier, du légataire ou donataire (art. 11§1c et art. 11§2b)

2. Imputations en cas de droits d’imposition concurrents

1ère étape : L’Etat de la situation de certains biens qui y sont imposables (art. 5 à 8) impose la succession partielle de ces biens selon sa législation interne.

2ème étape : L’Etat de résidence du défunt/donateur impose l’ensemble de la succession / donation selon sa législation interne (art. 9).

IMPUTATION de l’impôt dû (en vertu des art.5 à 8) dans l’autre Etat pour les biens qui y sont imposables (art. 11§1a et art. 11§2a).

3ème étape : L’Etat de résidence de l’héritier, du légataire ou du donataire impose tous les biens reçus par cette personne (art. 11§1c et art. 11§2b).

IMPUTATION de l’impôt dû (en vertu de l’art.9) dans l’Etat de la résidence du défunt ou donateur sur tous les biens, sauf sur les biens qui sont situés et (en vertu des art. 5 à 8) imposables en France (art. 11§1c et art. 11§2b).